Bart le Magnifique, Shelby Foote (par Léon-Marc Levy) (2024)

Il s’agit du premier roman de Shelby Foote, publié en 1949, et traduit ici pour la toute première fois en français. C’est donc un événement littéraire de grand intérêt qui permet aux lecteurs français de découvrir les aurores de l’un des plus grands écrivains sudistes du XXème siècle. Dans une préface très personnelle et attachante, Shelby Foote situe l’histoire de ce roman dans son œuvre et dans sa vie personnelle. Il nous dit l’avoir abandonné quelques années après l’avoir proposé à Knopf en 1942 qui lui avait répondu quelque chose du genre: pas mal, pourquoi pas mais ce manuscrit mériterait peut-être d’être remanié. Ce que Foote fit, mais bien plus tard, après la guerre au cours de laquelle il fut engagé en Europe.

Shelby Foote dit en particulier avoir voulu, pour la version définitive, revenir sur les influences que tout jeune auteur subit pour son premier roman.

De juillet à septembre, pendant le long été torride de 1948 au Mississippi, j’ai recomposé, d’une écriture cursive, le tapuscrit bien écorné que j’avais, huit ans plus tôt, résisté à l’envie de jeter au feu. Je l’ai révisé au fur et à mesure, gommant presque tout le Joyce, l’essentiel du Wolfe et une partie seulement du Faulkner; quand je tombais sur du Proust, je le conservais ou l’étoffais.

Pour le Joyce, ce roman en effet n’en a guère de traces. Pour le Wolfe très peu, à peine le cadre familial. Pour Proust, vous chercherez les passages et influences conservés ou «étoffés», votre chroniqueur n’en a guère trouvé. Par contre on peut soupçonner Foote d’euphémisme quand il parle de «une partie seulement du Faulkner». Faulkner flotte au-dessus de ce roman comme une ombre omniprésente. Foote lui emprunte sa structure romanesque fondamentale et une part de ses personnages. Il assume complètement ces emprunts, allant jusqu’à diviser son roman en chapitres intitulés: «L’ascension»… «Solitaire» [qui est le nom du domaine]… «Le fleuve»… «La chute». L’arc romanesque, en parabole parfaite, reprend celui de la plupart des romans de Faulkner. Comme le dit un cher ami écrivain corrézien quand il parle de Faulkner (qu’il vénère):y’a un gus qui arrive dans un bled inconnu, il fait fortune et devient le maître des lieux, puis il en a marre et s’arrange à flinguer tout ce qu’il a construit. On ne peut faire mieux en termes de résumé deBart le magnifique. La cadre du roman aussi est littéralement calqué sur la méthode de localisation faulknérienne: un territoire imaginaire – ici, Jordan County et sa capitale Bristol – cependant situé clairement dans le Delta, avec le fleuve Mississippi comme ligne continue. Un fleuve qui est l’objet d’un chapitre entier où Shelby Foote raconte une grande crue, exactement comme l’a fait William Faulkner dansSi je t’oublie Jérusalem, avec en plus une claire pensée pourTandis que j’agonise et les affres d’un mort à enterrer pendant la crue.

Quand Bart arriva à la porte, il vit que le major était mort. Et dans le même mouvement, en tout cas presque assez vite pour rendre cette pensée irrévérencieuse – mais ce fut un réflexe: depuis quinze heures son esprit luttait contre la menace de la crue et contre l’eau elle-même; il n’y eut pas de trêve à ce moment-là –, Bart se dit: Bon Dieu! Comment allons-nous l’enterrer?

Absorber une influence majeure afin de s’en débarrasser pour la suite de l’œuvre est la fonction de ce roman très faulknérisant de Shelby Foote.

Mais il serait injuste de s’en tenir à ces ombres portées. Bart est un roman qui commence à tracer une route singulière dans la littérature du Sud, une route sur laquelle on découvre que Shelby Foote, le romancier magnifique de Tourbillon /Follow Me Down, le brillant nouvelliste de L’enfant de la fièvre /Jordan County est déjà engagé avec ses bagages propres, sa pénétration psychologique, son art du portrait, ses scènes sudistes marquantes. Mais on devine plus qu’on ne voit l’écrivain à venir et, si l’on ne devait lire que ce roman sans les chefs-d’œuvre ultérieurs, on garderait assurément le souvenir d’un ouvrage de bonne facture mais écrit dans un style très académique et fortement guindé dans sa narration. Les longs passages où il ne se passe rien, si ce n’est des broutilles de la vie quotidienne de Bart ou de l’un de ses enfants ou aïeux, montrent à l’évidence un manque de souffle, d’inspiration, degrandeur. A mille lieues de l’intensité des pages faulknériennes – y compris celles du très beau premier roman du maître,Mosquitoes – de leur explosion stylistique et de leur puissance.

Bart le magnifique est néanmoins un événement littéraire, il complète (enfin) l’œuvre fictionnelle de Foote et c’est, en soi, formidable. Il ne manque désormais que la traduction en français du monument que Shelby Foote a consacré à la Guerre Civile américaine, The Civil War – A Narrative, quand un éditeur courageux aura l’audace de se lancer dans une œuvre de 3000 pages!

Léon-Marc Levy

Bart le Magnifique, Shelby Foote (par Léon-Marc Levy) (2024)
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